Traces d’une Tradition :
formes et sens.
Al-Jurjānī (grammairien perse d’expression arabe, décédé en 1074) élabore une théorie sémantique qu’il bâtit sur les
sens de la grammaire, ma‘ānī al-nahw.
Il entend par ce concept toute règle, catégorie
ou caractéristique, de nature morphologique
ou syntaxique, qui interfère lors de la production d’énoncés sensés.
L’intelligibilité d’un discours est à ses yeux le fruit d’une étrange, mais consciente, alchimie alliant connotations des mots et principes formels de la
grammaire. Abstraits, ces ma‘ānī al-nahw
fonctionnent comme des structures
orientant la pensée et agençant
les composantes lexicales véhiculées par les mots. Sans cet
effet structurel, la communication se réduit à des séquences absurdes, suites amorphes de mots sans le
moindre lien. Connue sous le nom de nazm
(composition), cette théorie formalise la compétence syntaxique du locuteur. Celui
-ci n’est-il pas une force cognitive, qui relie les mots en œuvrant sur leurs
caractéristiques morphologiques et leurs traits relationnels, avant d’émettre
des énoncés (les plus banals, du domaine de la vie quotidienne, ou ceux,
éloquents, qui relèvent de la sphère poétique) ?
À la lumière de cette théorie, développée il y a près de mille ans
au bord de la mer caspienne, nous tentons de comprendre comment l’arabe
moderne, à l’instar de toute langue dynamique, redéploie son très riche legs grammatical pour asseoir sa
normativité dans des mass-média
subversifs, une littérature errante et une bureaucratie vindicative. Sous le
silence et la complicité de l’histoire des hautes technologies, certaines
règles ont été enterrées, d’autres assouplies, les nouvelles intégrées, bénies
par les langues des Puissants.
Le socle pourtant est presque intact. Non sans perfidie, les
tournures d’antan résistent, feignent de
disparaître et resurgissent,
non dans les réserves des mots
en voie de disparition, mais tels des animaux de compagnie, nécessaires aux citadins esseulés. Se comptant par milliers, les
nouvelles significations sont régies par ces catégories protégées et se matérialisent dans les registres de
l’arabe moderne, admirable par
sa capacité de tout exprimer, bien que son usage peine à
s’imposer. Inéluctablement, la grammaire de ces registres modernes n’est plus
celle de l’arabe de nos aïeux, quoi qu’en disent les puristes, car le Qatar du
XXIe siècle n’est pas la Bassorah
du IXe siècle. La seule norme, rassurante à la fois pour nos
ancêtres et les insurgés, réside dans
la logique combinatoire que l’esprit opère entre les unités lexicales, doublées de connotations infinies,
et les formes syntaxiques les agençant à l’image du « joaillier basrien
qui enfile les perles » en vue
d’offrir un collier. La grammaire est pour le locuteur ce que le fil est pour cet artisan, épris de
l’éclat des pierres précieuses. À
l’heure de notre modernité hésitante, chaque énoncé qui désenchante notre
monde-langue est une pierre précieuse.
Destiné à
ceux qui ont déjà acquis les rudiments de la grammaire arabe, cet ouvrage en
réunit cinquante règles incontournables. Pour le composer, il nous a fallu
faire un choix des points essentiels. S’agissant de l’immense grammaire arabe,
l’arbitraire est inévitable. Guidé par notre expérience d’enseignement, nous
avons essayé de réaliser un aide-mémoire synthétique qui explicite cinquante notions
morphologiques et syntaxiques. Cependant, loin d’embrasser la totalité, ne
serait-ce que d’un seul chapitre de cette grammaire, ou d’en constituer une
méthode progressive, ce travail rappelle brièvement le volet théorique de
chaque principe (dérivationnel ou syntaxique). Il en fournit des exemples tirés
des registres modernes (presse, littérature, documents administratifs), dont
certains ont été imaginés pour répondre aux impératifs didactiques. Les
exceptions, les tournures inusitées et les constructions sibyllines ont été à
dessein écartées.
Ainsi,
l’objet de cet abrégé est double : il vise d’une part à exposer brièvement
l’aspect théorique d’un problème grammatical. Il propose d’autre part des
exercices, à caractère répétitif et didactique, afin d’asseoir la compétence
acquise. Ainsi, cet ouvrage pourrait être utilisé comme un complément aux
nombreuses méthodes d’arabe. Jamais, nous n’aurons suffisamment d’Éléments permettant de savourer, dans le
texte, les finesses d’al-Mutanabbī (poète arabe décédé en 965), les tournures
d’une presse en plein mutation et la richesse fictive des romans, tous
étonnamment ancrés dans la marche arabe vers la liberté.
KHALFALLAH Nejmeddine
Maître de
conférences
Université Lorraine,
Sciences-Po, Paris.
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